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This article was downloaded by: [Simon Fraser University] On: 15 November 2014, At: 01:17 Publisher: Routledge Informa Ltd Registered in England and Wales Registered Number: 1072954 Registered office: Mortimer House, 37-41 Mortimer Street, London W1T 3JH, UK Sites: The Journal of Twentieth-Century/ Contemporary French Studies revue d'études français Publication details, including instructions for authors and subscription information: http://www.tandfonline.com/loi/gsit19 Hybride, Moi? Marie-Claire Bancquart Published online: 29 Oct 2010. To cite this article: Marie-Claire Bancquart (2003) Hybride, Moi?, Sites: The Journal of Twentieth-Century/Contemporary French Studies revue d'études français, 7:1, 17-22 To link to this article: http://dx.doi.org/10.1080/1026021031000076812 PLEASE SCROLL DOWN FOR ARTICLE Taylor & Francis makes every effort to ensure the accuracy of all the information (the “Content”) contained in the publications on our platform. However, Taylor & Francis, our agents, and our licensors make no representations or warranties whatsoever as to the accuracy, completeness, or suitability for any purpose of the Content. Any opinions and views expressed in this publication are the opinions and views of the authors, and are not the views of or endorsed by Taylor & Francis. The accuracy of the Content should not be relied upon and should be independently verified with primary sources of information. Taylor and Francis shall not be liable for any losses, actions, claims, proceedings, demands, costs, expenses, damages, and other liabilities whatsoever or howsoever caused arising directly or indirectly in connection with, in relation to or arising out of the use of the Content.

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Hybride, Moi?Marie-Claire BancquartPublished online: 29 Oct 2010.

To cite this article: Marie-Claire Bancquart (2003) Hybride, Moi?, Sites: The Journalof Twentieth-Century/Contemporary French Studies revue d'études français, 7:1,17-22

To link to this article: http://dx.doi.org/10.1080/1026021031000076812

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Je voudrais d’abord éviter une confusion dans la terminologie.L’hybridation désigne le croisement d’espèces qui ont un mêmerépertoire génétique, qui reconnaissent mutuellement leurschromosomes. Ajoutons que chaque produit obtenu est unproduit unique. L’ensemble de gènes que chacun de nousprésente, car nous sommes évidemment nous-mêmes deshybrides, est statistiquement impossible à retrouver chez uneautre personne.

Comme cela, oui, j’ai quelque chose à faire avec l’hybridité.Imaginez qu’on vous prévienne d’une catastrophe imminente,qui vous obligera à évacuer la maison. Vous entassez dans un sacdes objets qui peuvent sembler disparates, mais qui ont ceci encommun, que chacun d’eux représente un élément essentiel dela maison. Ma grand-mère du Nord le tint prêt, le sac, en 1914et en 1940. Elle en savait par cœur le contenu éventuel, qu’elleme récita souvent par la suite. Eh bien, il se trouve que certainescirconstances m’ont appris très tôt, très vite, que notre vie étaitsans cesse sous la menace, et qu’il était bon de la constituerd’urgence en sac de ce à quoi nous tenons en ce monde. Lemien peut avoir l’air de rassembler de l’hétéroclite. Mais en finde compte, il est moi: c’est un produit un et unique, comme lesac de chacun de nous.

De mon curriculum vitae, on peut facilement déduire que jesuis essayiste, romancière et poète. Mais non percevoir ce qu’ily a d’enchevêtrements, à la vérité, dans ces fonctions. J’en

ISSN 1026-0218 © 2003 Taylor & Francis LtdDOI: 10.1080/1026021031000076812

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exerce d’ailleurs d’autres, moins officialisées, mais auxquelles jetiens. Ainsi, faire pas trop mal la cuisine, exemple que jeprendrai pour servir de liant (c’est le cas de le dire!) entre mestravaux. Manier les pâtes, inventer des ingrédients, c’est avoircommerce avec la matière. De cela je bâtis également mes livres:“Main qui écrit/Main qui pétrit”. La nourriture est unemétaphore de tout ce qui nous est essentiel, comme on le voitbien quand la civilisation est perplexe. C’est ce que je développedans mon essai Fin de siècle gourmande. Erotisme, sadisme,recherche des ailleurs, ou du rare et de l’artifice, trouble devantles possibles du monde et de l’écriture, sont ainsi exprimés parles écrivains dits de “l’époque décadente”, Maupassant,Huysmans, Jules Laforgue, le jeune Apollinaire … Donc,essayiste, j’écris sur la période littéraire 1880–1914, alorsqu’évidemment c’est aujourd’hui que je suis poète etromancière. Est-ce que ce sont des visées hétéroclites? Pas dutout! Nos malaises, l’usure des morales et des religions, nosidées esthétiques et contre-esthétiques, on peut les observerdans cette période, ainsi que la naissance des racismes et lavision de ce que sera une civilisation de masse (par exemple chezGustave Le Bon, dans son Age des foules). J’ai choisi cette époquedès le début de mes recherches, que je continue (Dix ou quinzeans plus tard seulement, j’en suis venue aussi à des études sur lesécrivains contemporains.) Un poète, un romancier ne peut seséparer des questions de société, ou d’une inquiétude que jeretrouvais dans “mon époque d’essayiste”, comme dans unmicrocosme de la nôtre.

Croisement donc entre le critique et l’écrivain. Si je n’avaispas écrit moi-même, je n’aurais peut-être même pas eu l’idéed’étudier la nourriture dans l’œuvre littéraire. Pourtant, quelsujet! Mais un certain académisme, surtout en France, fait qu’onle traite plutôt sous un aspect sociologique. Et sûrement lesreculs, élans, tremblements dans le rapport entre la matière etl’homme ne me seraient pas apparus aussi fortement: ils sontproprement poétiques. En réponse, on trouve dans ma poésie despommes, des tomates, des lapins tués (leur cri, alors …),dépouillés, cuisinés, par lesquels j’exprime un doute identitaire:désir heureux d’investir la matière, mais énigme terrible dedevoir, pour vivre, manger le vivant, énigme étendue à toute laterre. Du côté du roman, c’est par la cuisine que la savantehéroïne d’Une femme sans modèles, indépendante dans unesociété antiféministe au possible, trouve le moyen de gagner savie au départ. Roman où l’on retrouve bien entendu, mais sous

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une autre forme, ce que je sais sur “mon époque d’essayiste” –mon personnage étant né dans les années 1890 – et où s’exprimeaussi ma conviction que le corps et ce qui le concerne sontprimordiaux dans le développement d’une énergie, fût-ellelittéraire.

J’ai d’abord tiré ce fil-là dans l’enchevêtrement de matapisserie. Je pourrais parler de même de mon intérêt pourParis, que j’aime à la passion, et que j’étudie aussi chez lesautres. Allers et retours, l’essayiste se vouant à approfondir lesautres, le poète à suivre son projet de vie, la romancière aumentir-vrai? Évidemment ce n’est pas tout à fait simple.Quoique la notion de genre se soit extrêmement diluée, il existedu moins un horizon d’attente. La preuve, c’est justement qu’onparle du mélange des genres, autant que de leur exténuation.Question de mesures et d’aspects. On emploie sobrement le“je”, et encore quand on l’emploie, dans un essai qui regarde lesécrivains du passé. Mais travaillant par exemple sur les écrivainset la ville, ce milieu instable s’il en fut depuis Baudelaire, jemêlerais aux errances et souvenances des autres une espèce dedoublure fantasmatique, la mienne, et cela se sentirait, quoiquej’analyse, construis, écris selon des procédés acquis par uneétude plus conceptuelle. Je n’insérerais quand même pas dans celivre un poème de moi, tandis que la présente interview, qui estaussi une espèce d’essai sur une poétique, admettrait le poèmesans exclure la réflexion. Recherche, analyse, voire décryptagedes manuscrits, pourraient être le sujet d’un roman, mais pas samanière; ou alors il serait fastidieux. Mon scepticisme demeureprofond aussi devant un livre sous-titré “Poèmes” et chargé delongues citations ou notes. Le mode opératoire me semble icidevoir être plus direct, comme l’est l’horizon d’attente: uneécriture dense, un rythme respiratoire, une mise en évidence ducomment, pourquoi on est là, mais surtout pas grâce à desconcepts.

La question se déplace encore si l’on pense à la différenceentre prose et vers, dans un travail oblique de prose/poésie,celui que je pratique maintenant plus volontiers que le roman.Prose, il est inutile de souligner combien de formes en existent,narration, dialogue, prose poétique, poème en prose … De soncôté le vers est devenu libre, a tourné au verset, a pris desirrégularités subtiles depuis Rimbaud … Découragée par ledéluge suspect des “romans français de la rentrée” (quatre centscette année!), mais aussi poussée par un besoin plus profond del’expression, j’utilise une écriture mosaïquée, dans des recueils

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que j’appelle poétiques en dernière analyse. La prose raconte unévénement; elle peut inclure des “histoires” dans l’histoirecollective; le poème en émane, lui, par une émotion ou uneimage donnée par elle. Ainsi dans Contrées du corps natal, où, peuencline à l’autobiographie, je me suis projetée dans les deuxpetits bourgs dont mes familles sont originaires, trouvant leurhistoire dans des documents d’archives (ici, le critique repointeson nez). J’en ai évoqué les moments les plus forts dans desproses qui par moments devenaient poèmes en prose, puislaissaient place à des poèmes, élans, déplorations, énigmesressenties. Le long inédit Qui voyage le soir, à la fin de ma récenteanthologie, combine aussi prose et vers, dans un ajustement quin’est pas, loin s’en faut, juxtaposition, mais combinaison.

Hybridation plus délicate: collaborer avec d’autres formesd’expression artistique. Ah, là, il faut selon moi que deux sacscontiennent des éléments fondamentaux susceptibles de sereconnaître. Ce n’est pas si fréquent. Je collabore avec monmari, compositeur de musique, parce que, dans sa musiquemicrotonale, je reconnais une grande préoccupation qui est lamienne: celle des intervalles entre les choses du monde,irréductibles, mais que mon but serait de diminuer le pluspossible. Nous avons travaillé ensemble de plusieurs manières:mise en musique de poèmes déjà écrits, poèmes écrits d’aprèsune musique, enfin écriture par moi d’un oratorio pour unemusique en projet, ce qui fut une expérience nouvelle, teintéed’une théâtralité devant laquelle j’hésitais jusqu’alors. Dans tousles cas, il ne s’agit pas pour nous de juxtaposer deux arts dont lesspécificités sont réelles (quand on pense aux correspondances,on oublie presque toujours que Baudelaire a parlé de “longséchos qui de loin se confondent”… Se méfier de voir partout la“musique de la poésie” et la “poésie de la musique”!), mais defabriquer une troisième forme qui a son autonomie, qui n’estpas un état de passage: qui est poémusique. Une étape importanteest de déterminer ensemble le degré de lisibilité du texte, quiparfois demande une prosodie parfaitement claire (la suite depoèmes Icare), parfois peut passer du plan clairementperceptible à une perception intuitive, comme c’est le cas pourmon poème “Lumière d’eau”, plein d’images liquides faisantallusion à des polyphonies et appelant pour chaque vers,presque chaque mot, des développements mélismatiques enpolyphonies à deux voix.

Je travaille moins souvent avec des plasticiens, mais toujourssuivant les mêmes voies: nous avons, le peintre ou dessinateur

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et moi, des convergences profondes de tempérament – parexemple, il s’intéresse comme moi aux philosophiesgnostiques –, et d’autre part il a lu et pénétré à sa façon ce quej’ai écrit. Comme le musicien installe un poème dans le tempsmusical, lui, il l’installe dans l’espace.

Ce travail-là peut se faire lentement ou vite, selon lescirconstances. Mais quant à l’improvisation, je n’y crois paspour ma part quand on travaille dans un système non codifié,comme c’est le cas, à notre époque, pour les activités dont jeviens de parler. Elle a une très belle existence au sein dessystèmes codifiés: musique classique, ou extra-européenne, jazz,conte, poésie obéissant à des normes … Mais commentinventer, en improvisant, une forme dans le non-code? Il y fautdu temps. Je dis une fois pour toutes ici que c’est mon avis, queje peux le motiver, mais que je ne prétends pas du tout leprésenter comme une vérité intangible, détestant parler enpolémiste–qui-a-toujours-raison. De même en ce qui concernel’usage de l’ordinateur, qui me semble très commode pourpermuter, combiner, multiplier avec ou sans variantes, mais pasplus: un moyen. Avec lui comme sans lui, on peut mettre encause les canons littéraires (on l’a fait, pour notre brève époque,au moins depuis le début du 19e siècle, et constamment depuis).On peut développer une vision de la vie comme ambiguïtés,séries de fuites et changements perpétuels (mais il y a bellelurette qu’Héraclite …). On peut se livrer à des combinaisonshétérogènes, comme le collage, la mise en désordre, lesmultiplications de possibilités ( mais les baroques, mais lescubistes …), images fractales, sons électroniques fabriqués,mille milliards de poèmes, à la bonne heure. C’est un universsouvent ludique, qui a bien sa place. Mais voir ici la fondationd’un nouvel imaginaire, c’est pour moi être en proie à la mêmeillusion que celle des gens qui, vers 1850, se sont persuadés queles progrès de la science allaient tout changer et tout refonder.C’est une forme de scientisme, ou plutôt de technoscientisme.

Hybride et changeante, je veux bien, je le suis: mais parmoi-même, ayant affaire à mon corps, au corps à corps. Aucorps de mes lettres, à mes erreurs, à mon flair, c’est-à-dire dansl’unité de mon sac. Je prends à cause de cela beaucoup deprécautions pour m’en remettre à l’“interactivité”, que je nepratique que comme on l’a vu plus haut. Dans la mêmeperspective, j’aime lire des poèmes devant des lecteurs qui onten quelque sorte pris la peine de s’y attendre, pour m’adresserdes questions et discuter. Je ne ferais pas irruption dans une

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laverie ou une pizzeria pour dire mes mots devant des gens quiont la tête ailleurs. Je ne penserais pas les déranger beaucoupainsi des multiples images et attractions auxquelles notrecivilisation les expose sans cesse! C’est moi qui auraisl’impression d’œuvrer pour elle … Et je rejoins ici à l’enversAbraham Moles, qui met cartes sur table: il dit bien qu’il s’agitde construire une sorte d’ingénierie du plaisir à l’usage desmasses, d’une information/consommation parmi des milliersd’autres dans notre société. Ne pas être trop complexe, souspeine d’échapper au spectateur. Le faire intervenir dans uneinteractivité, mais à quel niveau? Bon. Dada, ses interventions“incongrues”, ses affiches et inscriptions, ses balbutiements,répétitions, cris, bruits, adresses au public, trouvaient de fortsmotifs dans une société encore normative. Ce n’est certes pas lecas de la nôtre, qui est celle du prêt à tout consommer, à toutaccepter. Je craindrais un danger monumental: nous vivons untotalitarisme mou dans lequel tout ne se mêle dans tout quepour mieux laisser place à un Big Brother de l’argent et de lapolitique. Cette hybridation-là, je la refuse nettement. Lapoésie est pour moi une écriture, et un essai d’art de vivre: iln’exclut pas le ludique, mais l’urgence n’est tout de même paslà. Hybride je suis, et prête à accueillir de nouveaux objets; maisdans mon sac, qui est unique comme celui de chacun. Et jeserais contente que la poésie puisse persuader chacun de cettehybridité/unicité.

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